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petite histoire de
l'École Européenne d'Acupuncture

Quand le Père Claude LARRE, le docteur Jean SCHATZ et moi-même nous sommes rencontrés en 1969-1970, nous étions bien loin de nous douter de l'aventure dans laquelle nous allions nous trouver engagés.

Claude Larre et Jean Schatz étaient nés tous deux en 1919 et étaient donc au milieu de leur vie avec déjà une carrière bien remplie.

J'avais juste 20 ans, et n'avais aucune idée précise sur ce que j'allais faire de ma vie et où j'allais trouver le sens à lui donner; mais j'étais attirée par les langues et civilisations anciennes, je voulais comprendre la vision qu'elles avaient de ce qu'il y a d'essentiel dans l'existence et comment elles l'exprimaient dans leurs propres mots et leur esprit particulier.

image du Père Larre
Claude Larre (1919-2001)

Claude Larre avait passé 20 ans de sa vie en Asie. D'abord en Chine (1947-1952) où il étudia le chinois en même temps qu'il achevait ses études de théologie pour devenir jésuite et où il fut ordonné en 1952. Puis au Vietnam (1956-1966) après deux courts séjours aux Philippines et au Japon. Il avait acquis une familiarité avec les textes classiques et la pensée de la Chine ancienne aussi bien qu'avec les Chinois d'aujourd'hui, dans leur vie quotidienne, leur "esprit et comportement" comme il le dira dans le titre d'une de ses œuvres majeures. Il avait aussi mesuré combien les occidentaux étaient loin d'une compréhension correcte de la réalité chinoise passée ou présente, le présent étant alors les débuts de la Révolution culturelle.

De retour à Paris, en 1966, il acheva son doctorat de philosophie chinoise, à la Sorbonne, en présentant sa traduction et son interprétation du chapitre 7 du Huainanzi, sur l'esprit vital de l'homme ("les esprits légers et subtils"). Dans le même temps, il eut l'idée de réunir quelques personnes qui s'intéressaient à la culture chinoise dans ce qu'elle avait de plus profond et de plus authentique, et qui ne se laissaient pas impressionnées par la propagande du moment, sans nier l'importance de la Chine contemporaine et des évènements qui s'y déroulaient alors; des personnes soucieuses d'approfondir leur approche de la civilisation chinoise et de la langue classique et désireuses de mieux les faire connaître à un public curieux. Isabelle Robinet, Mère Marie-Ina Bergeron faisaient partie de ce groupe, appelé le "cercle de jade" et qui fut le précurseur de l'Institut Ricci de Paris. J'ai eu la chance et le privilège d'y être acceptée alors que je n'étais qu'une débutante.

biographie

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Claude Larre (1919-2001)

Né en 1919 à Pau (Pyrénées-Atlantiques), Claude Larre fit une licence de droit à Paris en 1937 avant d'entrer dans la Compagnie de Jésus en 1939. En 1947 il passe une licence de lettres classiques puis s'embarque pour la Chine, où il étudie la langue et la civilisation chinoises à l'Université de Pékin et au Centre d'études sinologiques de l'Université de Paris, établi depuis 1945 dans la capitale chinoise. En 1952 il est ordonné prêtre catholique à Shanghai, juste avant d'être expulsé par le régime communiste.

Il séjourne alors à Hong Kong, puis aux Philippines, où il fait sa dernière année de théologie. Rentré en France en 1953, il entreprend de se former aux études taoïstes à la section d'études religieuses de l'Ecole pratique des Hautes études, sous la direction de Max Kaltenmark, qu'il avait connu à Pékin.

Il séjourne ensuite en 1956-57 au Japon, puis surtout 9 ans au Vietnam où il est professeur à l'université de Saïgon et où il dirige jusqu'en 1965 l'École jésuite de langue vietnamienne. Parallèlement il commence à participer à la rédaction du Dictionnaire Ricci.

De retour à Paris il achève en 1969 sa thèse sur le Traité VII du Huainanzi, puis devient professeur de philosophie chinoise au Centre d'études philosophiques des Jésuites de France (devenu aujourd'hui le Centre Sèvres).

En 1971 il fonde l'Institut Ricci de Paris, qui constituera le cadre dans lequel les sinologues français apporteront leur collaboration au Dictionnaire français de la langue chinoise dit le « Petit Ricci » qui paraît en 1976.

En 1976 il fonde l'École Européenne d'Acupuncture avec Jean Schatz et Élisabeth Rochat de la Vallée. En 1984 il retourne en Chine pour un séjour à l'École d'Acupuncture de Chengdu, et en 1989 il revisite Pékin et Shanghai. De 1990 à 1996, il effectue 13 voyages entre Paris et Taiwan pour coordonner les travaux sur le Grand Ricci qui est achevé juste avant sa mort en 2001.

L'œuvre personnelle du Père Larre porte essentiellement sur le taoïsme et sur la médecine chinoise traditionnelle. Par son intelligence profonde de la philosophie et de la langue et par sa compréhension pratique de la culture chinoise il amena une contribution significative au développement de la compréhension mutuelle entre les cultures d'Orient et d'Occident dans leurs valeurs les plus élevées.

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image de Jean Schatz
Jean Schatz (1919-1984)

Après ses études médicales, le docteur Schatz eut rapidement connaissance de la médecine chinoise, particulièrement l'acupuncture, qui était déjà bien introduite en France grâce à Soulié de Morant et au médecins homéopathes qui avaient étudiés avec lui dans les années 30. Il fut immédiatement séduit par cette approche dans laquelle son esprit visionnaire avait perçu une grande médecine qu'il n'hésitait pas à qualifier de socle pour la médecine du futur. Les études qu'il fit en France n'ayant pas répondu à toutes ses questions, il n'hésita pas à se rendre à Taiwan auprès du Dr WU Weiping vers le milieu des années 60.

De retour à Paris, il n'était toujours pas satisfait. Malgré ses lectures et ses recherches, il sentait qu'il lui manquait quelque chose de fondamental et surtout il avait la certitude que les réponses à ses questions se trouvaient dans les textes classiques de la médecine, encore peu connus et peu traduits.

C'est alors qu'il rencontra le Père Larre en 1969. Il lui sauta littéralement dessus à l'issue d'une conférence donnée par ce dernier sur le Taoïsme et la pensée chinoise et ne le lâcha pas avant qu'il n'ait accepté de lui traduire au moins le grand livre de la médecine, le Classique interne de l'Empereur jaune (Huangdi Neijing). Le Père Larre, que j'avais rencontré et commencé à suivre peu avant et qui avait commencé à m'enseigner le chinoise classique à partir du Daodejing (Livre de la Voie et de la Vertu) dont il avait commencé la traduction, m'entraîna de suite dans l'aventure.

biographie

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Jean Schatz (1919-1984)

Le docteur Jean Schatz est né en 1919 à Lausanne (Suisse). Docteur en Médecine et Docteur en Acupuncture de Taïwan, il fut également diplômé de l'Institut d'Acupuncture Chinoise de Hong-Kong et fit de nombreux voyages d'études en Asie. Il commença à pratiquer l'acupuncture dès 1951, et à partir des années 1960, il enseigna dans les écoles françaises d'acupuncture.

En 1976 il fonde l'École Européenne d'Acupuncture avec Claude Larre et Élisabeth Rochat de la Vallée, et il en est le Directeur de l'Enseignement jusqu'en 1984. Il fut également Chairman de la Société Internationale d'Acupuncture de 1976 à 1984.

Chercheur exigent et grand acupuncteur, il fut un précurseur de l'acupuncture en Europe et l'un des artisans de son rayonnement en Occident. Il fut le premier à étudier la proximité entre la physiologie énergétique et l'embryologie. Très vite, il perçut la nécessité d'approfondir directement les textes chinois, et dès 1970 il relança avec Claude Larre et Élisabeth Rochat de la Vallée l'étude sérieuse des Classiques médicaux de la médecine chinoise, actualisant leur pertinence à toute pratique authentique.

Il publia de nombreux articles dans des revues d'acupuncture françaises et étrangères, des revues et journaux spécialisés, et fit de nombreuses conférences sur des thèmes fondamentaux de l'acupuncture.

Ses vastes connaissances, sa culture, ses intuitions fulgurantes et son esprit de synthèse en firent un praticien et un enseignant extraordinaire qui a inspiré de nombreux acupuncteurs et chercheurs.

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Ouvrir le Huangdi Neijing et commencer à le lire en essayant d'y comprendre quelque chose fut un peu comme se jeter à l'eau sans savoir nager; pendant plusieurs mois, nous avons lutté pour ne pas nous noyer.

Nous étions un petit groupe d'une dizaine de personnes, qui nous réunissions une soirée par semaine, chez Alice Fano, femme extraordinaire, amoureuse de la Chine et fervente du Livre des mutations (Yijing) qui avait passé plusieurs années à Shanghai après guerre. Il y avait des acupuncteurs (médecins ou non médecins) et quelques personnes curieuses de connaître la théorie de la médecine chinoise telle qu'elle était réellement présentée dans sa langue d'origine.

Le Père Larre, s'appuyant sur sa grande connaissance de la langue et de la culture ainsi que sur ses études en particulier des textes taoïstes, était notre guide. Jean Schatz posait les questions, discutait le bien fondé de la traduction qu'il confrontait à son expérience clinique. Je prenais des notes et les mettais au propre pour la semaine suivante. Nous étions confrontés à la difficulté de découvrir comment aborder un texte médical en chinois classique, comment comprendre le sens spécifique de certains caractères, la signification précise de terme techniques, les références plus ou moins explicites à des situations cliniques comme à la vision cosmique de la vie appliquée au corps humain.

Au bout de 2 à 3 ans, nous étions davantage sûrs de nous et de nos interprétations. Une traduction expliquée et commentée émergeait, encore fragmentaire et incertaine, mais déjà riche d'enseignement.

En 1974, je partis un an à Taiwan pour améliorer mon chinois parlé (c'était encore la Révolution culturelle en Chine continentale). À mon retour, en 1975, d'un commun accord, le trio que nous avions formé commença à enseigner ce que nous apprenaient les textes. Au bout d'une année, nous décidâmes de formaliser notre enseignement et notre travail, et ce fut la fondation de l'École Européenne d'Acupuncture (E.E.A.), en 1976.

Les premiers ouvrages que nous avons publiés en commun furent un transcript d'un séminaire donné à Milan, à l'école So-Wen, où enseignait Yvonne Mollard-Brusini, médecin acupunctrice subtile et grande amie, "les Énergies du corps". Puis ce fut les Aperçus de médecine chinoise traditionnelle.

La disparition prématurée de Jean Schatz, en 1984, interrompit ce travail à trois mains. Il était un médecin extraordinaire, pas simplement par l'étendue de ses connaissances, mais par la façon qu'il avait de "voir" le patient, de percer les désordres en lui; il avait une véritable foi dans le pouvoir des aiguilles qui devenaient comme des instruments magiques entre ses doigts.

Avec lui, j'ai appris les bases de la clinique : la prise des pouls, le diagnostic, le traitement. Il m'a montré la profondeur et la beauté de cette pratique. Je vois des patients depuis plus de 30 ans, même si j'en vois peu, mon temps étant en majeure partie consacré à l'étude, la traduction et l'enseignement des textes chinois classiques. Mais c'est à lui que je dois l'effort constant de confronter les textes à la pratique qu'ils sous-tendent.

Après la disparition de Jean Schatz, le Père Larre et moi-même avons continué à développer l'École Européenne d'Acupuncture, apportant son esprit et son enseignement dans différents pays d'Europe et d'Amérique. Même quand nous étions en plein dans l'élaboration et l'édition du dictionnaire Grand Ricci, nous n'avons jamais cessé de travailler avec des acupuncteurs et pour la médecine chinoise. Les publications que nous avons faites en commun se partageaient entre la philosophie, particulièrement le Taoïsme ancien, et la médecine.

À sa mort, en 2001, le Père Larre était devenu comme une légende pour de nombreux praticiens de médecine chinoise. L'étendue de ses connaissances, son talent de professeur, sons sens de l'humour et surtout sa profonde humanité ont marqué nombre d'entre eux dans leur savoir mais aussi dans leur vie.

Au fil des ans, l’EEA a su rassembler des personnes de divers horizons : médecins ou non médecins, sinologues ou non sinologues, kinésithérapeutes, praticiens de shiatsu, psychologues, artistes, informaticiens, etc. Elle est caractérisée par l'amitié et la confiance qui existent entre ses membres ainsi que par un profond attachement à ce que l'École représente en terme de choix d'enseignement et de recherche.

Parmi les personnes qui, pendant presqu’un demi siècle, on notablement contribué à faire vivre l’EEA, on peut mentionner : Dea Angelelli, Geneviève Bemelmans, Jean Chami, Monique Drapier, Martine Espouy, Colette Malissard, Jean-Paul Moulin, Patrick Richer, Jacques Syréigeol, Heidi Thorer, Amnon Yaïsh...

Jusqu’à sa dissolution en mars 2023, l’EEA a maintenu ses trois principes fondamentaux :

  • L’approche rigoureuse des textes médicaux classiques, et leur étude précise qui aborde méthodiquement les questions théoriques et cliniques en s’appuyant sur une version d’ensemble du corpus médical chinois.
  • Les questions médicales étudiées sont développées en lien avec les grands textes de la pensée chinoise traditionnelle, aussi bien confucianistes que taoïstes ou autres, en particulier ceux contemporains du développement de la théorie médicale dans les quelques siècles autour de l’ère commune.
  • Une ouverture sur la pratique et l’expérience, dans un dialogue et un partage.

Avec tous eux et celles qui désirent perpétuer cette approche de la médecine chinois classique, je continue un enseignement fondé sur les textes chinois. Cet enseignement méthodique est la transposition en français - ou en d’autres langues occidentales - de ce que disent les textes majeurs chinois, la présentation organisée des classiques de la médecine avec leur terminologie spécifique, dans la perspective chinoise. Ainsi, sans pour autant prétendre à une unité factice, les participants peuvent acquérir une vision de la physiologie et de la pathologie, et un vocabulaire de chinois médical, insérés dans la pensée chinoise traditionnelle.

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